Indemnité de fin d’emploi : imposable ou non?

La question se pose régulièrement en matière d’indemnité de fin d’emploi : qu’est-ce qui est imposable et qu’est-ce qui ne l’est pas? Le présent texte se veut une réponse à cette question afin d’éviter, autant que faire se peut, la mauvaise surprise d’un avis de cotisation des autorités fiscales et de nouvelles discussions et/ou mésententes sur qui assumera cette nouvelle charge.

Le principe de base

Nous ne surprendrons personne en mentionnant que le principe de base en matière d’impôt est que tout revenu provenant d’une charge ou d’un emploi est imposable[1]. Selon les lois fiscales canadienne et québécoise, le traitement, le salaire ou toute autre rémunération, y compris les gratifications, sont imposables et sujets aux déductions à la source.

Comme toute règle a ses exceptions, surtout en matière d’impôts, il est possible dans des cas très limités que les sommes versées ne soient pas imposables.

Les exceptions

Il existe une jurisprudence abondante sur le sujet. Le premier constat que nous faisons en prenant connaissance de ce flux de jugements est que cette question des indemnités de fin d’emploi soulève encore et toujours plusieurs interrogations. Il n’y a pas de réponse absolue puisque les autorités fiscales peuvent toujours avoir une évaluation des faits différente de la nôtre, cette détermination leur revient. La contestation de l’avis de cotisation émis devient alors le seul véhicule possible.

Cependant, nous pouvons tout de même dresser un portrait général de l’applicabilité des lois fiscales sur une indemnité versée à la rupture d’un lien d’emploi, selon une jurisprudence assez constante sur le sujet.

Ici, nous traiterons les situations dans lesquelles un employeur visé par un recours du salarié relativement à sa fin d’emploi, verse une somme à ce salarié en lien avec la procédure entreprise. Cette somme peut être versée suite à une entente avec le salarié découlant d’une séance de négociations entre les avocats, d’une séance de médiation à la suite d’une décision du tribunal ou de toute autre manière.

Les avocats sont généralement imaginatifs lorsque vient le temps de discuter de la façon dont sera versée cette indemnité de fin d’emploi. Cependant, cette imagination est confrontée à la réalité fiscale et au principe de base de l’imposition des sommes ainsi versées. Chaque cas est différent et cette question en est une de faits. La Cour suprême du Canada a malgré tout établi la marche à suivre en pareille circonstance dans l’arrêt Tsiapraillis. Deux questions doivent être posées :

  1. Que vise à remplacer le paiement?
  2. L’élément remplacé aurait-il été imposable pour la personne qui en a bénéficié?

Avant d’analyser directement le caractère imposable de l’indemnité versée, nous nous permettons de rappeler que, pour éviter des surprises, une désignation claire de la qualification des sommes versées est fortement recommandée[3]. Un manque de détails peut occasionner des problèmes lorsque viendra le temps de déterminer si un montant est imposable ou non. Une indemnité clairement désignée et séparée sous différents postes est une solution facile qui permet de déterminer le « statut fiscal » plus aisément.

Notamment, une somme forfaitaire de 120 000 $ versée en capital, intérêts et frais à titre de dommages pourrait occasionner, pour l’employeur, l’obligation de verser à son ex-salarié, une somme de 120 000 $ en sus des déductions à la source sur cette somme[4].

Selon nous, la première question posée dans l’arrêt Tsiaprailis est cruciale : que vise à remplacer la somme versée? Personne ne met en doute le caractère imposable d’une indemnité versée pour salaire perdu, vacances payées, indemnité pour perte d’avantages liés au travail, etc. Mais qu’en est-il des dommages-intérêts ou autres sommes ne visant pas un remplacement de revenus?

Selon notre lecture des lois sur les impôts, la jurisprudence en pareille matière et notre expérience, il n’existe pas une multitude de possibilités afin de verser à un salarié une indemnité libre d’impôts. La question à garder à l’esprit est toujours ce que la somme versée vise à remplacer. Nous croyons que les indemnités suivantes constituent les principales versées par les employeurs :

  • dommages pour préjudice corporel[5];
  • dommages moraux;
  • remboursement de dépenses pour recherche d’emploi;
  • remboursement des frais d’avocats et autres frais; et
  • montant versé dans un REER du salarié.

Mis à part les dommages pour préjudices corporels qui sont nommément prévus dans les lois sur les impôts, les autres sont basés sur de l’interprétation jurisprudentielle. Il est très important que, si les parties conviennent de désigner et séparer l’indemnité en plusieurs postes, ceux-ci doivent être soutenus par la nature du recours, des demandes formulées et des pièces justificatives, le cas échéant.

Nous nous expliquons : une indemnité versée sous forme de dommages moraux pourrait être considérée comme remplaçant indirectement une perte de revenu et donc être imposable. Pour permettre le versement de dommages moraux, ceux-ci doivent être supportés par un recours donnant droit à de tels dommages. Par exemple, une plainte d’harcèlement psychologique ou une réclamation faite à même la plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante[6] pourraient permettre le paiement par l’employeur de dommages moraux non-imposables.

Quant aux remboursements pour frais d’avocats ou de recherches d’emploi notamment, ceux-ci pourraient être considérés non imposables encore une fois s’ils sont soutenus par une preuve à cet effet. Des factures seraient, par exemple, une preuve difficilement contestable de leur existence réelle. Selon la Cour canadienne de l’impôt, la question à se poser ici est de déterminer si ce remboursement crée un enrichissement pour le salarié[7]. Si la réponse est non, le remboursement ne serait alors pas imposable.

Le montant versé dans un REER n’est pas, au moment du versement, imposable. Toute somme versée dans un REER conserve son caractère imposable, mais cet impôt est reporté au moment du retrait des sommes du REER. Pour ce faire sans impact fiscal au moment du dépôt, le salarié doit avoir un montant suffisant disponible de cotisations inutilisées. De plus, la somme versée ne doit pas excéder le maximum admissible annuellement.

Enfin, lorsque l’employeur verse à un salarié une somme d’argent afin de compenser financièrement ce salarié pour la rupture du lien d’emploi, sans que cette indemnité ne soit versée directement ou indirectement en remplacement d’un revenu perdu, celle-ci sera considérée, pour fins fiscales, comme une allocation de retraite et sera alors imposable.[8] Les tribunaux ont d’ailleurs régulièrement interprété ces dispositions[9].

À ce titre, un jugement de la Cour fédérale prévoit qu’il faut se poser la question suivante afin de déterminer si la somme reçue constitue une allocation de retraite :

« […] « S’il n’y avait pas eu perte d’emploi, la somme aurait-elle été reçue? » Si l’on répond à cette question par la négative, il existe entre la somme reçue et la perte d’emploi un lien suffisant pour que le paiement soit considéré comme une allocation de retraite. »[10]

Conclusion

Il n’appartient pas aux parties (employeur / salarié) de déterminer si un montant versé à titre d’indemnité de fin d’emploi est imposable ou non. Ce pouvoir revient aux agences du revenu. Cependant, les tribunaux ont donné certaines balises afin de permettre aux parties de déterminer, à l’avance, le caractère imposable d’une somme versée. Chaque situation doit être évaluée à son mérite. La question centrale demeure la même : que vise à remplacer la somme versée? Si cette somme peut être considérée directement ou non comme un remplacement de revenu, celle-ci sera alors imposable.

Il serait également prudent, dans le cadre de sommes versées à la suite d’un règlement hors cour ou d’une transaction, de prévoir qui supportera les charges fiscales, le cas échéant. Ceci évite des frais et des procédures inutiles pour les deux parties.

En terminant, il existe certainement des types d’indemnité qui n’ont pas été traitées dans le présent texte, celui-ci ne se voulant pas un texte exhaustif sur le sujet. Que ce soit pour ceux qui y sont énumérés ou d’autres, une évaluation par un spécialiste du domaine fiscal demeure la meilleure façon d’éviter des surprises.

N’hésitez pas à faire appel à nos services, l’équipe fiscale de Fasken saura vous guider à travers ces questionnements.


[1]      Art. 5 et 6 de la Loi de l’impôt sur le revenu L.R.C. (1985), ch 1 (5e suppl.) (ci-après LIR) et art. 32 de la Loi sur les impôts LRQ, c.I-3 (ci-après LI).

[2]      Tsiaprailis c. Canada [2005], RCS 113; voir également un cas d’application Saunders c. La Reine, Cour canadienne de l’impôt, 2018-4115 (IT)I, para.16.

[3]      Voir par exemple l’affaire Conyers c. Bio Syntech (Canada) inc., 2007 QCCS 4856, notamment au paragraphe 47 de cette décision.

[47] La preuve révèle que Bio Syntech a conclu une Transaction sachant fort bien que le montant total à verser à M. Conyers était de 120 000 $. La Transaction est claire et non ambiguë et ne souffre d’aucune lacune manifeste. Bio Syntech s’est engagée à verser à M. Conyers une somme totale de 120 000 $ en capital, intérêts et frais à titre de dommages. L’entente ne prévoit aucune réserve de quelque nature que ce soit à l’effet d’amputer cette somme d’un montant à être versé à des fins fiscales.

[4]      Conyers c. Bio Syntech (Canada) inc., 2007 QCCS 4856, paragraphe 48.

[5]      Sous-paragraphe 81(1) g.1) LIR et art. 494 LI prévoient expressément ce poste d’indemnité.

[6]      Voir par exemple Abenaim c. La Reine, 2017 CCI 223, para 101 et 102.

[7]      Voir par exemple Sévère c. La Reine, 2009 CCI 209, para 32 et 33. Il en est de même pour le remboursement par l’employeur d’une perte subie par un salarié qui doit vendre sa maison suite à une mutation, cette perte réelle ne sera pas imposable (MRN c. Philipps, 1994 CanLii 3468 (CAF)).

[8]      Paragraphe 248(1) LIR définition de « allocation de retraite », alinéa 56(1)a) LIR prévoit l’imposition des sommes ainsi reçues. Notez enfin que l’alinéa 60(o.1) LIR prévoit que les frais juridiques engendrés afin de récupérer ou quantifier cette allocation de retraite sont déductibles pour le salarié. (Au Québec, les articles, suivant le même ordre, sont article 1 « allocation de retraite », alinéa 311a) et 336e.1) LI. Le site internet de l’Agence du revenu du Québec et de l’Agence du revenu du Canada donnent certaines explications également à ce sujet dont notamment le taux d’imposition spécifique à cette allocation de retraite qui diffère du taux d’imposition de la personne visée (www.revenuquebec.ca et www.canada.ca/fr/agence-revenu.html).

[9]      Voir par exemple la décision de la Cour canadienne de l’impôt Abenaim c. La Reine, 2017 CCI 223 (CanLII).

[10]     Merrins c La Reine, T-2065-91, Cour fédérale, 27 octobre 1994, [1994] ACF no 1582 (QL), 94 DTC 6669.

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