Modifications annoncées à la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières

Droits sur les mutations immobilières : Mise en œuvre des modifications annoncées

Le ministre Carlos J. Leitão a déposé le 16 novembre 2016 le Projet de loi 112 mettant en œuvre certaines mesures fiscales annoncées lors du discours sur le budget du 17 mars 2016.

Parmi les mesures reflétés au Projet de loi 112, on retrouve les modifications annoncées à la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières (CLRQ c. D-15.1) (la « Loi »).  Le Projet de loi 112 doit encore être examiné en commission parlementaire avant son adoption.

Ces modifications annoncées au discours du budget sont principalement de trois ordres :

  • Imposer le droit sur les mutations au moment du transfert d’un immeuble, et non au moment de son inscription au registre foncier – ayant pour effet d’imposer les transferts d’immeubles effectués hors titres;
  • Modifier certaines conditions d’exonération du droit sur les mutations, notamment entre parties étroitement liées, et d’insérer une exigence du maintien de la condition d’exonération pour une période de 24 mois suivant un transfert exonéré;
  • Introduire de nouvelles conditions d’exonération, notamment à l’égard des transferts effectués entre ex-conjoints de fait et de transferts effectués en faveur d’une organisation internationale gouvernementale qui a conclu une entente avec le gouvernement relativement à son établissement au Québec.

Fait à noter, les mesures ont effet à compter des transferts d’immeubles réalisés après le 17 mars 2016.

Le Projet de loi 112, intitulé Loi donnant suite principalement à des mesures fiscales annoncées à l’occasion du discours sur le budget du 17 mars 2016, vient détailler la mécanique par laquelle ces modifications seront mise en œuvre.  À noter que le Projet de loi 112 n’entrera en vigueur que suite à son adoption par l’Assemblée nationale et sa sanction par le Lieutenant-gouverneur.[1]

Imposition des transferts dits hors titres

Modification de la règle d’exigibilité

L’article 6 de la Loi, qui prévoit actuellement que « le droit de mutation est dû à compter de l’inscription du transfert », est modifié par le Projet de loi 112 afin de prévoir que « le droit de mutation est dû à compter de la date du transfert ».

Les modalités d’exigibilité du droit de mutation sont prévues à l’article 11 de la Loi qui demeure inchangé, à savoir que « le droit de mutation est exigible à compter du trente et unième jour suivant l’envoi d’un compte à cet effet » par la municipalité.

Cette modification a pour effet d’assujettir au droit de mutation les transferts dits « hors titres », qui étaient jusqu’alors réalisés afin transférer le titre de propriété véritable d’un immeuble sans toutefois en faire la publication au Bureau de la publicité des droits.  Ce type de transfert s’effectuait le plus souvent lorsqu’un mandataire, parfois appelé société prête-nom, détenait le titre de propriété publié de l’immeuble pour le compte du ou des propriétaires véritables.

La mesure instaurée par le gouvernement n’a pas pour effet d’empêcher ou d’invalider de tels arrangements impliquant la détention du titre de propriété d’un immeuble par le biais d’un mandataire, mais vient cependant étendre l’exigibilité du droit de mutation aux transferts de propriété véritable, peu importe que ceux-ci soit publiés ou non.

Nouvelle obligation de divulgation

Afin de permettre aux municipalités de percevoir le droit de mutation à l’égard de transferts qui ne sont pas publiés au Bureau de la publicité des droits, le législateur vient ajouter une obligation pour le ou les cessionnaires de déclarer de tels transfert à la municipalité au plus tard le quatre-vingt-dixième jour suivant la date du transfert, à moins que l’acte ne soit inscrit sur le registre foncier au plus tard à cette date.  Cette déclaration se fait par le biais d’un avis de divulgation répondant aux exigences du nouvel article 10.1 de la Loi.

Si le transfert est fait à plusieurs cessionnaires, tous ont l’obligation de donner un tel avis de divulgation, mais l’accomplissement de cette formalité par l’un d’eux au nom de tous les cessionnaires dégage tous les autres cessionnaires.

Fait à noter, le Projet de loi 112 indique que l’acte doit être inscrit au registre foncier à cette date, et non simplement présenté pour publication.  Ainsi, les cessionnaires voudront être prudents et prévoir les délais de traitement au Bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière pertinente.  Dans les cas où l’inscription du transfert dans les délais prescrits s’avère problématique, le cessionnaire voudra envisager de transmettre néanmoins un avis de divulgation à la municipalité pour éviter le droit supplétif applicable aux divulgations tardives (discuté plus avant ci-bas) et assurer la coordination nécessaire pour éviter de recevoir deux factures de la municipalité.

Le délai prévu au Projet de loi 112 n’anticipe pas non plus les transferts pouvant être effectués avec une date effective antérieure à la date de signature de l’acte constatant le transfert.  En pareil cas, le cessionnaire voudra être prudent dans la planification d’un transfert avec effet rétroactif.

Le nouvel article 10.1 de la Loi prévoit les exigences applicables à l’avis de divulgation, lequel doit notamment comprendre ce qui suit et être accompagné d’une copie de l’acte de transfert (laquelle doit être authentique si l’acte est notarié en minute) :

  • l’identification et les coordonnées du cédant et du cessionnaire, y compris, à l’égard de personnes morales, sociétés ou autres entités, les renseignements suivants :
    • Leur numéro d’entreprise du Québec ou numéro d’identification du ministère du Revenu;
    • le nom, la fonction et les coordonnées de chaque personne autorisée à agir en son nom; (notre emphase)
  • le nom des membres d’un ordre professionnel qui ont rendu des services dans le cadre du transfert de l’immeuble; (notre emphase)
  • l’identité du propriétaire apparaissant à l’acte inscrit sur le registre foncier; et
  • les autres mentions requises par l’article 9 de la Loi.

On peut se questionner sur la portée de certaines nouvelles divulgations requises, notamment quant au nom de chaquepersonne autorisée à agir pour le cédant ou le cessionnaire, et quant à savoir ce qu’englobe la référence aux membres d’un ordre professionnel ayant rendu des services dans le cadre du transfert.  Par exemple, en plus des courtiers immobiliers ou avocats ou notaires, doit-on inclure les comptables professionnels agréés et évaluateurs agréés? Qu’en est-il des arpenteurs-géomètres, ingénieurs, technologues professionnels, ou urbanistes pouvant avoir réalisé des plans ou études quant à l’immeuble en vue de la transaction de transfert?

L’intention recherchée par le législateur de fait de ces dispositions n’est pas claire, non plus que les conséquences qu’elles pourraient avoir, notamment à l’égard d’éventuelles demandes de renseignement que pourraient formuler les autorités fiscales à ces professionnels.

Créance prioritaire, Prescription

Rappelons que le droit de mutation constitue une créance prioritaire sur les meubles du débiteur et l’immeuble faisant l’objet du transfert et donne donc aux municipalités un droit de suite sur l’immeuble.[2]  Le droit peut être exigé de toute personne qui devient cessionnaire après celui qui a été partie à ce transfert.[3]

La créance résultant du droit de mutation se prescrit par trois ans de l’inscription du transfert ou de la présentation à la municipalité de l’avis de divulgation du transfert, sauf quant à la partie de telle créance qui est impayée par suite d’une déclaration frauduleuse.[4]

Ces dispositions constituent donc un défi pour un acquéreur lors d’une vérification diligente visant à déterminer l’absence de créance relative aux droits de mutation.  En effet, une vérification du registre foncier et des états de comptes de la municipalité pourrait ne pas être suffisante si l’immeuble a fait l’objet d’un transfert non publié qui n’a pas été rapporté à la municipalité.

À noter que la prescription ne commencerait pas à courir à l’égard de tout transfert non publié qui n’aurait pas été divulgué à la municipalité.

Si les dispositions proposées sont adoptées telles quelles, les cessionnaires devront dorénavant trouver un moyen utile de se prémunir des réclamations des autorités fiscales à l’égard de droits de mutation impayés par leurs vendeurs.  De telles réclamations seront possibles à l’égard de droits de mutation impayés par le vendeur lors de sa propre acquisition de l’immeuble, mais également par tout autre prédécesseur en titre du vendeur.

Cette impact bien réel met en lumière l’importance de ce changement pour les acteurs du marché immobilier qui acquièrent des immeubles, lesquels devaient jusqu’à présent simplement se préoccuper de confirmer le paiement des droits de mutation devenus exigibles suite aux transferts publiés antérieurs.

Exception – Exonération lors de l’inscription subséquente d’un même transfert

Un nouvel article 6.2 est ajouté à la Loi par le Projet de loi 112, exonérant du paiement du droit de mutation « l’inscription sur le registre foncier d’un acte constatant le transfert d’un immeuble si ce transfert a fait l’objet d’un avis de divulgation à la municipalité » (notre emphase).

Tel que rédigée cependant, cette disposition nécessite qu’il s’agisse du même transfert.

Ainsi, cette exception pourrait n’être d’aucun secours lorsqu’un propriétaire véritable et son mandataire transfèrent tous deux leur titre de propriété véritable et titre de propriété publié respectifs de façon concurrente, même si ce transfert est fait à la même personne.

Ce type de transfert est courant lorsqu’une structure impliquant un mandataire détenant le titre de propriété publié est utilisée pour la détention d’un immeuble.  En pareil cas, il est courant de voir un cessionnaire qui achèterait l’immeuble obtenir du propriétaire inscrit (mandataire du propriétaire véritable) un transfert du titre publié et, parfois de façon séparée, un transfert du titre de propriété véritable du propriétaire véritable, lequel serait habituellement non publié.  Cet acheteur pourrait lui aussi utiliser une structure semblable, et donc chacun des deux transferts pourrait être fait en faveur d’un cessionnaire différent.

En pareil cas, il n’est pas question de publier subséquemment un transfert hors titre précédemment réalisé, mais bien d’effectuer concurremment deux transferts visant le même immeuble.  Ainsi, l’exonération susmentionnée ne semble pas applicable, et les deux transferts pourraient être assujettis au droit de mutation.

À moins de bien structurer de telles transactions, le cessionnaire court un risque de dédoublement des droits de mutation.

Application

Tel que mentionné, ces dispositions sont applicables aux transferts d’un immeuble effectués après le 17 mars 2016.

Modification aux conditions d’exonération

Le second aspect des modifications à la Loi mises en œuvre par le Projet de loi 112 qui seront d’intérêt particulier pour les acteurs du marché immobilier commercial sera celui des transferts exonérés.

Le Projet de loi 112 vient modifier les dispositions relatives aux transferts exonérés entre parties étroitement liées.

Seuil de détention

Jusqu’à présent, l’article 19 de la Loi prévoit certains cas d’exonération du droit de mutation à l’égard de transferts entre personnes étroitement liées qui, lorsqu’ils impliquent des personnes morales, nécessitaient la détention d’au moins 90% des actions de son capital-actions émises et ayant plein droit de vote.

La Loi ne précisait cependant pas si ce seuil de 90% s’appréciait au niveau du nombre d’action émises ou du nombre de droits de vote.  La Loi prévoyait également que le seuil de 90% pouvait aussi s’apprécier quant à la juste valeur marchande des actions dans certaines circonstances.

Le Projet de loi 112 vient préciser ces dispositions de l’article 19 de la Loi et spécifier que, dans tous les cas, le seuil de 90% doit s’apprécier seulement à l’égard « des droits de vote pouvant être exercés en toute circonstance à l’assemblée annuelle des actionnaires » de la personne morale visée.

De plus, les modifications à l’article 19 de la Loi prévoient que tout personne (autre que le cédant et le cessionnaire) détenant, en vertu d’un contrat ou autrement, un droit immédiat ou futur, conditionnel ou non, à des actions (soit de les acquérir ou d’en contrôler le vote, soit d’obliger une personne morale à racheter, acquérir ou annuler des actions de son capital action appartenant à un tiers) est réputée avoir exercé ce droit au moment du transfert, sauf si ce droit est conditionnel au décès, à la faillite ou à l’invalidité permanente d’une personne.

Il s’agit d’une approche qui reprend celle utilisée en matière d’impôt sur le revenu pour apprécier la position de contrôle d’une personne.

Cette disposition vise à éviter que le paiement du droit de mutation ne soit contourné par un arrangement visant à procurer à une personne le contrôle indirect de la personne morale cessionnaire de l’immeuble.

Cession par une personne morale à une personne physique étroitement liée

Dans le cas d’une cession par une personne morale à un cessionnaire qui est une personne physique étroitement liée à cette personne morale, le Projet de loi vient ajouter une exigence pour bénéficier de l’exonération applicable aux transferts entre parties étroitement liées.

En effet, la modification à l’article 19 b) de la Loi exige que la personne physique ait détenu 90% des droits de vote relatifs aux actions de la personne morale durant une période de 24 mois précédant la date du transfert (ou, si la personne morale a été constituée depuis moins de 24 mois, durant toute la période depuis sa constitution).

Cette disposition empêche qu’un cessionnaire acquiert les actions d’une personne morale qui détient un immeuble dans le seul but de réaliser par la suite un transfert exonéré dans un délai de moins de 24 mois depuis l’acquisition de ces actions.

Obligation de maintien de la condition d’exonération

Le Projet de loi 112 introduit de nouveaux articles 4.1 à 4.3 à la Loi, qui viennent assujettir au droit de mutation un transfert qui en a été exonéré en vertu des dispositions relatives aux transferts entre personnes étroitement liées, lorsque les conditions d’exonération cessent d’être rencontrées dans une période de 24 mois suivant la date du transfert.

Ainsi, lorsque le cédant cesse de détenir 90% des droits de vote du cessionnaire (avec adaptation selon la nature du lien entre les personnes étroitement liées parties au transfert) dans cette période de 24 mois, ce dernier devient tenu au paiement du droit de mutation.

La période de 24 mois est écourtée s’il survient le décès du cédant qui est une personne physique pendant cette période.

À cette fin, en vertu du nouvel article 6.1 de la Loi, le cessionnaire a l’obligation de transmettre à la municipalité où est situé l’immeuble visé par le transfert exonéré un avis de divulgation au plus tard le quatre-vingt-dixième jour suivant le moment visé par l’alinéa applicable de l’article 4.1 en vertu duquel le droit de mutation devient exigible.

Le contenu de cet avis de divulgation est prévu à l’article 10.2 de la Loi et est similaire à celui résumé plus haut à ce bulletin à l’égard des transferts hors titres.

Application limitée aux personnes physiques et personnes morales

Il est à noter que le Projet de loi 112 ne vient pas élargir la portée des dispositions d’exonération qui exigent que les transferts entre personnes étroitement liées pouvant faire l’objet d’exonération sont limités à ceux entre personnes physiques ou personnes morales (ou, dans certains cas, entre une personne physique et une fiducie).

Ces exonérations ne sont pas disponibles lors d’une transfert à une société de personnes (telle une société en commandite) ou autre entité n’ayant pas la personnalité juridique.

Droits supplétifs en vertu de la Loi sur les impôts

Du fait de ces modifications, l’article 381 du Projet de loi 112 modifie l’article 1129.29 de la Loi sur les impôts (CLRQ c. I-3), qui prévoyait un droit supplétif de 125% en cas de changement de contrôle d’une société ayant bénéficié d’un transfert d’immeuble exonéré en certaines circonstances, afin que cet article ne s’applique qu’aux transferts effectués avant le 18 mars 2016.

De nouveaux articles 1129.33.0.1 et suivants sont ajoutés à la Loi sur les impôts relativement aux transferts effectués après le 17 mars 2016.  Ces dispositions imposent un droit supplétif de 150% du montant du droit de mutation si un cessionnaire fait défaut de présenter l’avis de divulgation d’un transfert à la municipalité (tant à l’égard d’un transfert non inscrit que de la cessation du maintien de conditions d’exonération d’un transfert entre parties étroitement liées), avec intérêt depuis la date à laquelle l’avis de divulgation devait être présenté jusqu’au jour du paiement.

À noter que ce droit supplétif s’applique dès que le cessionnaire fait défaut soit de publier un transfert ou soit de donner un avis de divulgation relativement à ce transfert dans le délai prescrit.

Le critère d’intention prévu à l’article 1129.29 de la Loi sur les impôts n’a pas été reproduit dans ces nouvelles dispositions.  En effet, sous cet article 1129.29, le droit supplétif ne s’applique que lorsqu’un immeuble a été acquis par un société au moyen d’un transfert exonéré avec l’intention qu’un changement de contrôle de la société ait lieu dans les deux années suivantes.

De plus, il est à noter que le législateur n’a pas étendu l’assouplissement prévu à l’article 19.1 de la Loi aux nouveaux droits supplétifs introduits par le Projet de loi 112.

En effet, sous l’article 19.1 de la Loi, un cessionnaire est dispensé du paiement du droit supplétif s’il paie volontairement le droit de mutation à la municipalité avant que le droit supplétif ne devienne exigible.

Les nouvelles dispositions des articles 1129.33.0.3 et 1129.33.0.4 prévoient quant à elle que le cessionnaire tardif qui transmets sont avis de divulgation hors délai n’échappe pas au droit supplétif même s’il paie volontairement le droit de mutation.  Le retardataire ne bénéficiera que d’une réduction du droit supplétif du montant du droit de mutation.  La « pénalité » de 50% additionnel continuera de s’appliquer.

Les deux tiers du droit supplétif ainsi perçu sont remis au ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire qui lui le remet à la municipalité concernée.

Autres modifications

Le Projet de loi 112 apporte également certaines autres modifications plus mineures à la Loi à l’égard des organismes internationaux gouvernementaux et des transferts entre ex-conjoints de fait.

Ces modifications étant d’application plus restreinte aux transactions d’immobilier commercial, nous en omettons une analyse détaillée pour les fins du présent bulletin.

Pour plus d’information à l’égard de ces modifications, n’hésitez pas à communiquer avec Nicolas Leblanc, Claude E. Jodoin M. Fisc ou tout membre du Groupe Immobilier et du Groupe Fiscalité de Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.


[1]       Selon l’article 465 du Projet de loi 112, la loi entre en vigueur à la date de sa sanction.

[2]      Art. 12 de la Loi et Art. 2654.1 C.c.Q.

[3]       Art. 12.1 de la Loi.

[4]       Art. 13 de la Loi, tel que proposé d’être modifié par le Projet de loi 112

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