Category Archives: Analysis

Cour suprême du Canada: l’intention véritable des parties a ses limites

Après l’arrêt AES de 2013[1], la Cour suprême du Canada (« CSC ») statue à nouveau sur la modification rétroactive des contrats en droit civil et tranche, cette fois-ci, en faveur des autorités fiscales dans l’affaire Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 55.

Dans cette affaire, le Groupe Jean Coutu (PJC) Inc. (« PJC Canada ») demandait de modifier une série transactions effectuées avec sa filiale américaine, PJC USA. En 2004, cette dernière avait investi dans une chaîne de pharmacies américaines. Les variations de la valeur de cet investissement en raison des fluctuations du taux de change suscitaient des perceptions négatives chez les investisseurs. PJC Canada a alors décidé de compléter une série de transactions ayant pour effet de neutraliser l’effet des fluctuations du taux de change. Cette série de transactions a toutefois occasionné certaines conséquences fiscales imprévues pour PJC Canada, d’où sa demande de modification.

La demande de PJC Canada est rejetée. S’il est vrai que l’intention d’éviter des conséquences fiscales était une considération générale pour que PJC Canada procède aux transactions, la CSC considère que le simple désir de vouloir éviter de telles conséquences ne permettait pas de justifier la demande de modification.

Le contrat en trois actes : l’objet, la cause et les conséquences

La CSC s’attarde à bien distinguer l’objet, la cause et les conséquences recherchées aux termes du contrat.

L’objet de l’obligation contractuelle est la prestation à laquelle le débiteur est tenu envers le créancier et qui consiste à faire ou à ne pas faire quelque chose. L’objet de la prestation est la chose sur laquelle porte la prestation. En revanche, la cause du contrat est la raison qui détermine chacune des parties à le conclure et les conséquences recherchées représentent ce que les parties veulent en tirer. L’interprétation des contrats est étroitement liée à l’objet de la prestation ou du contrat, et non à la cause (la raison) ou les conséquences recherchées :

[24] […] Il en est ainsi parce que l’interprétation des contrats est axée sur ce que les parties contractantes ont vraiment convenu de faire, et non sur les raisons qu’elles avaient de conclure le contrat ou sur les conséquences qu’elles voulaient que ce contrat produise.

En l’espèce, l’intention d’éviter des conséquences fiscales était la conséquence recherchée, et non l’objet du contrat :

[28] […] Ainsi, il serait plus exact de dire que l’intention selon laquelle aucune conséquence fiscale défavorable ne doit découler du contrat est la conséquence recherchée par les parties au contrat, et que l’intention de neutraliser l’effet des fluctuations du taux de change est la cause du contrat […] Ni l’une ni l’autre ne constitue un contrat, l’objet d’un contrat ou l’objet d’une obligation, et ni l’une ni l’autre ne peut justifier que l’on modifie avec effet rétroactif des documents qui constatent et exécutent avec exactitude ce que les deux parties avaient vraiment convenu de faire.

L’erreur de PCJ Canada ne résidait pas dans la façon dont les transactions ont été exprimées

L’objet d’un contrat ou d’une obligation doit être suffisamment précis et déterminé ou déterminable pour qu’on y retrouve l’intention commune des parties recherchée au moment de l’interprétation d’un contrat. Rechercher l’intention véritable des parties ne permet donc pas de modifier la déclaration écrite du contrat sur la base de la cause ou des conséquences du contrat :

[29] Des documents écrits peuvent être modifiés en application de l’art. 1425 C.c.Q. pour qu’ils reflètent avec exactitude l’entente véritable intervenue entre les parties. Par contre, l’entente comme telle ne peut être modifiée pour atteindre les résultats, quels qu’ils soient, que les parties peuvent avoir voulus ou escomptés en la concluant. PJC Canada et PJC USA se sont entendues sur la série de prestations précises qu’elles voulaient exécuter, et il n’y a eu aucune erreur dans la façon d’exprimer ou d’exécuter cette entente. Cette dernière a simplement eu pour PJC Canada des effets imprévus et indésirables sur le plan fiscal. Comme le dit l’intimé, l’erreur réside dans les transactions dont les parties ont convenu, non dans la façon dont elles ont été exprimées.

Convergence entre le droit civil et la common law

Par ailleurs, la CSC indique que le droit civil québécois et la common law canadienne ne diffèrent pas vraiment quant à la doctrine de la modification ou de la rectification en matière contractuelle. Malgré son origine différente en droit civil et en common law, cette doctrine poursuit les mêmes objectifs et s’applique essentiellement de la même manière dans les deux systèmes de droit :

[47] […] la rectification relevant du droit civil québécois et celle relevant de l’equity sont d’application stricte, en ce sens que la modification ne peut porter que sur l’expression ou la transcription du contrat; le contrat lui-même ne peut être reformulé. En outre, dans les deux cas, c’est la véritable entente qui prime, et non pas ses conséquences ou ses effets voulus.

Dissidence des juges Côté et Abella

Il faut noter que les juges Côté et Abella sont dissidentes et auraient permis la modification des transactions. Selon elles, les considérations fiscales étaient une condition sine qua non de la structure transactionnelle envisagée par les parties. Puisque l’intention véritable des parties était d’assurer une neutralité fiscale en complétant des transactions pour enrayer l’effet des fluctuations du taux de change, celle-ci permettait de modifier la série de transaction :

[69] En l’espèce, il existe un écart évident entre, d’une part, l’intention commune et continue des parties et, d’autre part, les opérations exécutées dans le but de donner effet à cette intention. La preuve démontre que l’intention commune et continue des parties portait non seulement sur l’objet du contrat, mais aussi sur ses conséquences fiscales.

Cette dissidence démontre que la portée du concept d’intention véritable des parties demeure un sujet propice aux débats.

Note : Un deuxième bulletin sera émis sou peu pour discuter plus en détail du débat fiscal qui a eu lieu dans cette affaire et de l’impact de cette décision d’un point de vue fiscal.


[1] Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65.

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Modifications announced to the Act respecting duties on transfers of immovables

Duties on Transfers of Immovables in Québec: Implementation of Previously Announced Amendments

On November 16, 2016, the Minister, Carlos J. Leitão, tabled Bill 112 giving effect to several fiscal measures announced in the Budget Speech delivered on March 17, 2016.

Among the measures set out in Bill 112 are the modifications announced to the Act respecting duties on transfers of immovables (CQLR c. D-15.1) (the “Act”). Bill 112 must still go before a parliamentary commission before its adoption.

The measures announced in the Budget Speech revolve around the following three main changes:

  • Imposing mutation duties at the time of the transfer of an immovable, as opposed to the time of its registration in the land register – thereby imposing off-title transfers of an immovable;
  • Amending the conditions of certain exemptions from payment of mutation duties, in particular in respect of transfers between closely-related parties, and introducing a requirement that the exemption conditions underlying the exemption be maintained for a period of 24 months following an exempt transfer;
  • Introducing new conditions applicable to exemptions, specifically in respect of transfers between former de facto (common-law) spouses and transfers in favour of an international governmental organization that has entered into an agreement with the Government with respect to its establishment in Québec.

It is worthwhile noting that the measures will only apply to transfers of immovables occurring after March 17, 2016.

Bill 112, entitled An Act to give effect mainly to fiscal measures announced in the Budget Speech delivered on 17 March 2016, details the means by which these amendments will be implemented. One should note that Bill 112 will only come into force on the date of its passage by the National Assembly and its assent thereto by the Lieutenant-Governor.[1]

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Modifications annoncées à la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières

Droits sur les mutations immobilières : Mise en œuvre des modifications annoncées

Le ministre Carlos J. Leitão a déposé le 16 novembre 2016 le Projet de loi 112 mettant en œuvre certaines mesures fiscales annoncées lors du discours sur le budget du 17 mars 2016.

Parmi les mesures reflétés au Projet de loi 112, on retrouve les modifications annoncées à la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières (CLRQ c. D-15.1) (la « Loi »).  Le Projet de loi 112 doit encore être examiné en commission parlementaire avant son adoption.

Ces modifications annoncées au discours du budget sont principalement de trois ordres :

  • Imposer le droit sur les mutations au moment du transfert d’un immeuble, et non au moment de son inscription au registre foncier – ayant pour effet d’imposer les transferts d’immeubles effectués hors titres;
  • Modifier certaines conditions d’exonération du droit sur les mutations, notamment entre parties étroitement liées, et d’insérer une exigence du maintien de la condition d’exonération pour une période de 24 mois suivant un transfert exonéré;
  • Introduire de nouvelles conditions d’exonération, notamment à l’égard des transferts effectués entre ex-conjoints de fait et de transferts effectués en faveur d’une organisation internationale gouvernementale qui a conclu une entente avec le gouvernement relativement à son établissement au Québec.

Fait à noter, les mesures ont effet à compter des transferts d’immeubles réalisés après le 17 mars 2016.

Le Projet de loi 112, intitulé Loi donnant suite principalement à des mesures fiscales annoncées à l’occasion du discours sur le budget du 17 mars 2016, vient détailler la mécanique par laquelle ces modifications seront mise en œuvre.  À noter que le Projet de loi 112 n’entrera en vigueur que suite à son adoption par l’Assemblée nationale et sa sanction par le Lieutenant-gouverneur.[1]

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Tax Court: arrears interest after GAAR assessment accrue from the taxpayer’s balance-due day

Tax Court confirms that arrears interest on taxes resulting from GAAR assessment accrue from the taxpayer’s balance-due day

In Quinco Financial Inc. v. R. (2016 TCC 190), the Minister of National Revenue had assessed Quinco under section 245 (the “GAAR”) of the Income Tax Act (Canada) (“ITA”) to deny certain claimed capital losses.  Arrears interest on the resulting tax due was also assessed, which the Minister computed from Quinco’s “balance-due day”.  The “balance-due day” is the deadline by which a taxpayer is required to pay to the Receiver General certain amounts payable under the ITA for a particular taxation year.  For a corporate taxpayer, it is either two or three months after the end of the particular taxation year, depending on the circumstances.

Quinco took the position that it should not be liable for arrears interest on the assessed tax debt for the period prior to the assessment date.  It proffered numerous arguments to support its position. The most interesting argument was that, although a GAAR assessment requires a determination of the tax consequences reasonably necessary to deny the tax benefit, it does not permit or extend to the recharacterization of the transaction for any other tax purposes; therefore, a taxpayer’s liability for interest does not arise until the date of the reassessment.

Justice Bocock rejected this argument and explained that an assessment under the GAAR,

“whether alone or in conjunction with another technical omission or non-compliant act, is not an assessment divorced from the other provisions of the Act.”

Here, the assessment was raised utilizing the GAAR, but the assessment “insinuated itself into Part I of the Act to reassess the taxpayer otherwise in the normal course.”  Justice Bocock held that subsection 161(1) arrears interest accrues on any tax payable determined under the GAAR from the balance-due day until the GAAR assessment issuance date (and onwards until payment of the tax payable).

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[UPDATE] No need to delay rectification applications:  Ontario Superior Court

[The original post was published on July 25th, 2016 – This is an updated version.]

The Ontario Superior Court of Justice’s recent decision in Slate Management Corporation v. Attorney General of Canada[1] indicates that applicants do not have to wait for the Supreme Court of Canada’s pending judgments in two high profile rectification cases before seeking rectification orders.  However, appeals to the Ontario Court of Appeal concerning rectification matters will be held in abeyance until the Supreme Court renders the awaited decisions.

On May 19, 2016, the SCC heard arguments in Jean Coutu Group (PJC) Inc. v. Attorney General of Canada[2] and Attorney General of Canada v. Fairmont Hotels Inc., et al.[3] It is anticipated that the SCC will take the opportunity made available by these cases, the former being from Quebec and the latter being from Ontario, to provide national clarity and direction on the law of rectification.  The case law has been wildly inconsistent across the country since the Ontario Court of Appeal’s landmark decision in Juliar v. Canada (Attorney General)[4], the case that paved the way for rectification to be used to alter completed transactions in order to avoid unintended tax results.  Many in the tax community thought that there would be a moratorium on rectification applications and that those in progress would be held in abeyance until the SCC had spoken.

Addressing this issue directly, Justice Hainey in Slate Management did not accept the SCC’s pending decisions as justification for adjourning the application and proceeded to hear the matter.  He even went so far as to rely on the Ontario Court of Appeal’s decision in Fairmont[5], which is the exact case in which the SCC has reserved judgment.

The issue in Slate Management was straightforward.  The applicant argued that it had intended that its amalgamation of three corporations would achieve a specific tax outcome by using the “tax bump rules” under paragraph 88(1)(d) of the Income Tax Act (Canada).  However, it failed to attain the sought after tax outcome because it undertook the amalgamation in one step instead of sequential amalgamations in two steps.  The question before the Court was whether the applicant had a continuing intention to achieve the tax outcome by using the tax bump rules.  The Court found that, on a balance of probabilities, there was a continuing intention.  The application was allowed and the applicant was awarded $20,000 in costs.

The Attorney General of Canada appealed Justice Hainey’s decision to the Ontario Court of Appeal and immediately made a motion to have the matter held in abeyance until after the Supreme Court delivers the Fairmont and Jean Coutu judgments.  The Court of Appeal agreed and ordered that the appeal be held in abeyance until 30 days following the release of the Supreme Court decisions.[i]

[1] 2016 ONSC 4216 (Commercial List).

[2] Docket number 36505.  Summary of the case.

[3] Docket number 36606.  Summary of the case.

[4] [2001] 4 CTC 45 (Ont. C.A.).

[5] 2015 ONCA 441.

[i] Attorney General of Canada v. Slate Management Corporation (August 30, 2016), Toronto C62491 (Ont. CA).

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